Période de 1999 à 2010 environ : un univers onirique et chaotique
Les toiles de cette période représentent un univers grouillant de vie et déroutant, un joyeux foisonnement et enchevêtrement de formes organiques, végétales, animales et humaines. Ce sont des créatures telles qu'elles peuvent apparaître dans les rêves, ni vraiment humaines ni vraiment animales ou végétales, qui nous plongent dans la perplexité sans pour autant nous effrayer.
Elles font penser à des animaux-totems ancestraux, passeurs de mémoire, aux symboliques porteuses de messages; qui sont-elles ? D'où viennent-elles et où vont- elles ? Quels rites immémoriaux célèbrent-elles ?
Tantôt flottantes et immobiles, tantôt dynamiques, elles évoluent comme en apesanteur dans un espace qui n'est ni terre ni air ni eau, se déplaçant comme des engins spaciaux, tourbillonnant souvent sur des trajectoires orbitales. Les zones entre ces créatures zoomorphes et autres petits êtres insolites sont animées de motifs géométriques, codes et signes cabalistiques. Les formes sont volontiers courbes et rondes, traitées en aplats sans modelés ni jeux d'ombres et de lumières : c'est un univers en deux dimensions.
Selon Zebendo les œuvres de cette période sont caractérisées par une saturation de l'espace, démultipliée par les pleins et les vides. Cette saturation est le reflet d'un monde victime d'un trop-plein d'évènements, qui mène au chaos. Il s'agit de l'ordonner, de l'harmoniser par la composition, le mouvement et la couleur. Les teintes dominantes sont l'orange et le bleu.
Le vœu de Zebendo est que sa peinture devienne un portrait de son époque : des mondes multi-culturels et multi-ethniques se côtoient dans un espace plus ou moins défini, avec une multitude d'images et de chocs simultanés qui nous dépassent. Son projet est de jouer avec le chaos et les métamorphoses. Les formes figuratives ou abstraites retranscrivent sa peur du vide, et saturent l'espace de la toile. Elle essaie de transformer cette anarchie en mouvement, en une structure dynamique, en traçant des ouvertures, en suggérant des profondeurs, des lumières et différents points de vue.
Naissances, 2002, 50x70cm, aquarelle
Around 2001, 2001, 50x70cm, aquarelle
Hymen*, 2006, 50x60cm, acryl
Les rôdeurs, 2008, 50x60cm, acryl
Période ~ 2010 - 2011 : le chaos mis en boîte
Ce foisonnement s'apaise maintenant et fait place à des boîtes qui, progressivement, dominent le tableau, tout en étant cependant représentées dans la nature, évoquée par les quatre éléments : l'eau, le feu, la terre et l'air. Elles flottent ou sont immergées, ailleurs elles paraissent en suspension dans la stratosphère. Des mouvements de chutes, de pénétrations, de fuites sont représentés, à l'intérieur ou à l'extérieur : leurs parois entrouvertes permettent à divers éléments d'y pénétrer ou de s'en extraire.
La boîte symbolise les limites à transgresser. Que renferme-t-elle donc ? Qu'est-ce qui cherche à s'en échapper et à se déployer ? Ses parois tantôt canalisent et tantôt libèrent de l'énergie, qui prend les formes les plus diverses et qu'il appartient à chacun d'interpréter.
Avec ce thème de la boîte, Zebendo puise des images de l'inconscient qui l'amènent à une démarche plus construite. Elle tente de simplifier l'espace submergé des toiles de la période précédente, et de jouer sur la dualité (tension entre le dehors et le dedans, la limite et la transgression etc.) et sur la métamorphose (de la glace au feu, de la lumière à l'ombre, du rigide au souple, du passif à l'actif etc.) afin d'élucider la part cachée de l'être.«La boîte,» dit Zebendo, «est comme une dame qui a plusieurs facettes : elle se ferme comme une huître ou protège la part intime d'elle-même. Son âme sauvage défie le corps qui l'enferme. Cette part indicible sur le tableau, tantôt liquide, aérienne ou couleur de feu, questionne la part mystérieuse des hommes et des femmes, ces êtres à multiples visages.»
Dès 2012 : des "petites formes" aux montagnes
Abstraites, géométriques, les petites formes, essentiellement triangulaires, se déploient en miroir. Elles surgissent comme une écriture automatique, que l'artiste recueille pour générer un tableau. Par endroits le tissu qu'elles forment se densifie et suggère une créature, comme captive dans les mailles d'un filet qui pourrait s'étendre à l'infini. Leur représentation, d'abord purement graphique, de treillis noirs sur fond blanc, évolue vers des formes en 3D qui évoquent des pierres taillées, puis des clapiers, éboulis, pierriers et autres formations géologiques, voire des paysages tels qu'on les imaginerait sur une planète inhabitée.
Le bleu domine, mis en valeur par sa complémentaire l'orange. La profondeur est rendue par les passages lumineux et obscurs. Ces masses monumentales, dont la perspective est accentuée par la forme dynamique du triangle, sont nées de la fascination de l'artiste pour la représentation de rochers ou de montagnes.
Des mosaïques composées d'une infinitude de petites surfaces planes s'articulent ainsi pour former des reliefs accidentés, qui ici s'érigent en massifs ou icebergs vertigineux, et là se creusent en failles, falaises et précipices, ou s'étendent au loin comme des chaînes montagneuses entrecoupées de glaciers et de plans d'eau. Ces structures à l'apparence minérale peuvent reposer de tout leur poids dans le sol, mais aussi flotter dans l'eau, voire sembler suspendues immobiles en apesanteur ou se déplacer comme des météorites dans la stratosphère.
Elles évoquent un monde éminemment anguleux, glacé et désolé. En effet, il ne s'agit pas de s'y promener comme dans une peinture de paysage chinoise, où de petits sentiers sillonnant entre les pins mènent à une cascade toute scintillante d'écume : ici ni chemins, ni orchidées sauvages ni gracieux échassiers : la démarche est tout autre puisqu'elle invite à explorer sa part cachée, avec tous les dangers que cela peut comporter.
Si certaines structures paraissent fragiles et éphémères comme un château de cartes, qui ne demande qu'à s'écrouler au moindre souffle de vent, d'autres semblent aussi immuables et imposantes que la chaîne de l'Himalaya. D'autres encore semblent sur le point de se désagréger, malgré leur monumentalité. Dualité toujours, entre l'éternel et l'éphémère, entre ce qui est caché et ce qui l'enveloppe : tantôt tendre et vulnérable comme la peau d'un bébé, et tantôt rigide comme la carapace d'un animal ou ... celle de la montagne.
«Je m'interroge sur le cubisme,» dit Zebendo, «sur Cézanne le grand maître, amoureux de la montagne Sainte Victoire. Est-ce cette vision qui l'a mis sur le chemin du cubisme, et qui a fait de lui son précurseur ?»
Cézanne l'amène à penser au relief par des volumes, intégrés dans la famille des cubes, des cylindres parallélépipèdes, cônes et autres agglomérés entre eux, qui ensemble vont créer de nouvelles masses ovoïdes, cubiques ou autres. La couleur l'aidera à accentuer la perspective, par les contrastes au premier plan et des tons plus froids et nuancés pour suggérer le lointain.
«En peignant les volumes et les perspectives d’une montagne réinterprétée, je tente de découvrir un espace que je ne connais pas vraiment, proche du vertige: je trace une promenade dans l’incertitude et la fragilité de l’équilibre... L'énergie du "dedans" traverse la chair, ou le mur, parfois transgresse cette limite jusqu'à l'extérieur» dit-elle encore. «Il m'arrive d'oublier le sujet initial pour explorer de nouvelles structures, de nouveaux espaces. Je "lâche prise", peu importe la figuration ou l'abstraction, mon pinceau va au-delà des mots.»
Comme l'a dit très bien son amie Françoise Schmid, «Son travail recueille l'apparition des émotions et des significations possibles plutôt qu'il en dirigerait, avec un concept pensé a priori, le sens final.»
Il arrive parfois que la question posée soit plus intéressante que l'explication qui y répond. Les interrogations de Zebendo, que chacun peut faire siennes, donnent naissance à des toiles qui interpellent de si brillante manière qu'on en vient à souhaiter, afin que d'autres et d'autres toiles en naissent, que ce voyage initiatique se poursuive de questionnement en questionnement, pour notre plus grand bonheur !
Ariane Thaon de St André
La boîte montagne, 2010, 24x30cm, acryl
Une minute avant*, 2011, 40x60cm, acryl
Tissage de l'ombre, 2010, 50x60cm, acryl
Lointain I*, 2014, 40x120cm, acryl
Lointain II*, 2014, 40x120cm, acryl